Sheela Pimparé : et si on laissait la nature nous guider pour la transition éducative

Telle est la proposition de Fritjof Capra[1], physicien et théoricien des systèmes, co-fondateur du Center for Ecoliteracy[2], Berkeley et auteur de plusieurs ouvrages, dont le plus récent, co-écrit avec Pier Luigi Luisi, s’intitule ‘The Systems View of Life’ (2014).

« On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré »(Albert Einstein)[3]

Alors changer nos modes de penser ? Comment faire ?

Peter Senge[4] qualifie de ‘modèle mental’, l’ensemble des pensées, valeurs, croyances et hypothèses qui sont à l’origine des décisions et des actions humaines. Selon lui, les problèmes ou les impacts d’un système c’est-à-dire les parties visibles de l’iceberg ne sont que les résultats des tendances déjà dessinées par le passé. Mais dessinées par qui ? Par les structures des systèmes en place. Et qui aurait conçu ces structures ? En ce qui concerne les structures humaines, ce sont les ‘modèles mentaux’ qui en seraient responsables.

Aussi, ces tendances, structures et modèles mentaux sont les parties invisibles de l’iceberg et le plus souvent négligés.

  • Donc si on veut résoudre un problème c’est-à-dire voir de nouveaux impacts, il faut commencer par changer ces « modèles mentaux » qui dorment invisibles en bas de l’iceberg
  • Ces nouvelles façons de penser feront émerger de nouvelles structures
  • Ces nouvelles structures à leur tour vont dessiner d’autres tendances
  • Ces nouvelles tendances donneront en effet d’autres résultats.

Autrement dit, pour une véritable transition du système éducatif, il faudrait revisiter les « modèles mentaux » en bas de l’iceberg.

Quel sont donc les « modèles mentaux » à l’origine du système actuel ?

Capra et Luisi (2014) illustrent minutieusement l’empreinte de la science newtonienne et cartésienne non seulement sur nos perceptions de la Nature et des êtres vivants mais aussi sur la conception de nos organisations humaines. Cette vision qualifie l’univers matériel (y compris les êtres vivants), comme une machine qui fonctionne selon des lois mécaniques parfaitement explicables. Si on apprend à connaître chaque élément de cette « machine » et les lois qui les gouvernent, nous pouvons comprendre et maîtriser l’ensemble.

Ainsi au delà des sciences naturelles, cette métaphore de « machine » aurait pénétré et façonné nos esprits et nos pensées jusqu’à dans le design de nos organisations sociales, économiques, industriels ou encore la gestion des ressources humaines.

Elaboré par Descartes, ce cadre conceptuel sera approfondi et synthétisé par Newton. Aussi, la certitude cartésienne, la valeur de la méthode analytique, la séparation entre l’esprit et la matière, le premier plaçant l’Homme au-dessus de la Nature ou encore rendant l’activité mentale supérieure aux occupations manuelles, telles sont quelques unes des hypothèses marquant intensément nos esprits. La division entre l’esprit et la matière, d’après le célèbre physicien quantique, Heisenberg, « a profondément pénétré nos esprits pendant ces 3 siècles suivant Descartes et il faudra longtemps pour que ceci soit remplacé par une autre attitude vis à vis du problème de la réalité » (cité dans Capra et Luisi, 2014, p. 24).

Si la méthode analytique de Descartes a en effet permis de très grandes avancées en sciences, elle a également incité à une attitude de fragmentation et de réductionnisme. « Depuis notre plus jeune âge, on nous apprend à fractionner les problèmes, à diviser le monde en sous-ensembles. On nous affirme que cela permet de gérer plus facilement les tâches et les sujets complexes. Mais en fait cette démarche nous coute très cher. Nous devenons incapables de voir les conséquences de nos actions ; incapables de faire le lien entre le tout et ses sous-ensembles. Essayer d’envisager un problème dans toutes ses dimensions consiste alors à mettre bout à bout les sous-parties, à les lister et à les organiser. Une tâche vaine, comme l’affirmait le grand physicien David Bohm, qui ressemble un peu à celle qui consisterait à recoller les morceaux d’un miroir cassé afin de retrouver un reflet parfait. De fait, même les meilleures volontés y renoncent. » (Senge, 2006, p.3)

Les théoriciens de management identifiaient et soulignaient systématiquement les principes et méthodes d’organisation et de fonctionnement pour simuler en effet l’efficacité d’une machine (Capra et Luisi, 2014, p. 58) – modèles de fonctionnement qui se perpétuent jusqu’à nos jours avec autant de zèle dans les chaines de restaurations par exemple, mais pas seulement. D’après les auteurs, les principes de ces théories classiques de management ont laissé une telle empreinte sur la façon de penser des dirigeants sur les questions d’organisation que pour la plupart d’entre eux, la conception des structures formelles, avec des lignes claires de communication, de coordination et de contrôle, est devenue comme une seconde nature. Cette entente inconsciente de l’approche mécanistique est devenue ainsi un des obstacles majeurs aux changements organisationnels. (Capra et Luisi, 2014, p. 59)

Qu’en est-il pour l’école ?

On peut observer cette même métaphore de « machine » dans la conception de nos structures éducatives actuelles. Celles-ci s’organisent pour « éduquer » les enfants, tout comme les usines pour la production industrielle ou bien les armées pour la protection du pays.

Afin de « transmettre » un socle commun de connaissances/compétences efficacement au plus grand nombre d’individus, quelques principes et méthodes sont adoptés – séparation des connaissances de leurs contextes ; division en matières distinctes et hiérarchisées ; hiérarchisation des compétences ; distribution d’élèves par classes d’âge ; élaboration des programmes et des manuels scolaires par des experts ; transmission par des enseignants-spécialistes ; lignes hiérarchiques claires ; emploi du temps ; système d’évaluation; esprit compétitif …

La standardisation, l’homogénéisation et le conformisme se mettent alors en route aux dépens de l’émergence de nouveaux savoirs, l’expression des individus, la diversité ou la créativité, si bien décrit dans cette animation que nous avons tous du regardée plus d’une fois[5]. Aucune des réformes de ces dernières décennies n’a pu déstabilisé le cœur de ce modèle mental.

Changer ces modèles mentaux? Comment faire ?

« Un être humain fait partie d’un tout, que nous appelons ‘Univers’, une partie limitée dans le temps et l’espace. Il expérimente lui-même, ses pensées et ses sentiments comme étant séparés du reste, une sorte de tromperie optique de sa conscience. Cette tromperie est une sorte de prison pour nous, nous limitant à nos désirs personnels et à l’affection pour quelques personnes les plus proches de nous. Notre tâche doit être de nous libérer de cette prison en élargissant notre cercle de compassion pour englober toutes les créatures vivantes et l’ensemble de la nature dans toute sa splendeur. Personne n’est capable de réaliser cela complètement, mais les efforts en vue de réaliser cela constituent eux-mêmes une partie de la libération et le fondement de la sécurité intérieure. »[6] (Albert Einstein)

Depuis plus de 20 ans, Fritjof Capra œuvre pour que nos organisations humaines remplacent l’empreinte mécanistique (newtonienne et cartésienne) par une vision systémique (écologique) du monde – L’univers n’est plus considéré comme une machine composée d’objets élémentaires. La science contemporaine a démontré que l’univers matériel est en effet un réseau constitué de modèles de liens inséparables. Et la planète dans son ensemble est un système vivant et autorégulant.

Ce réseau a soutenu, fait évoluer et développer durablement la vie sur terre depuis plus de 3,5 milliards d’années. Et pour ce faire, les organismes vivants suivent certains principes et méthodes d’organisation afin de gérer le complexe et l’inattendu – une sagesse que Capra dénomme, Ecoliteracy. Il appelle les êtres humains, parties intégrantes de cet ensemble, de reprendre conscience de ces principes et de s’en inspirer pour repenser leurs rapports à l’humain et à la Nature. Qu’est-ce que cela implique ?

Pour comprendre, voici une brève initiation au développement durable dans le langage de la Nature

Bien qu’évoqués séparément, les principes et les processus décrits ci-dessous, sont complexement reliés les uns aux autres. Autrement dit, aucun principe n’est réalisable sans la présence de tous les autres.

  1. Mode de vie en réseaux

Il n’existe pas de hiérarchie dans les communautés écologiques. Elles s’organisent en réseaux avec de multiples relations non-linéaires entre membres et entre réseaux. Chaque perturbation implique plusieurs effets, eux-mêmes provoquant d’autres conséquences, élargissant ainsi les schémas de changements en continu (voir les principes 2, 3 et 4).

  1. Systèmes emboités

A chaque niveau d’existence, un réseau est niché dans un plus grand. Les principes d’organisation sont les mêmes à chaque échelon, mais le degré de complexité varie. Un changement dans un cran provoque nécessairement des impacts sur les autres (voir les principes 1, 3, 4)

  1. Interdépendance

L’interdépendance est donc une nature fondamentale. Les propriétés essentielles de chacun des membres, (voire son existence dans le réseau), proviennent de leurs relations avec les autres membres. Autrement dit, aucun membre ne peut exister indépendamment des autres et le comportement de chaque individu dépend de celle de plusieurs autres. Ainsi, la réussite d’une communauté écologique dépend du succès de chaque individu et vice versa (voir les principes 7 et 8).

  1. Feedbacks

Les phénomènes qui se produisent, sont les résultats du principe de feedback ç à d des boucles de rétroaction formées par les liens causes à effets. Autrement dit, les effets ont une incidence sur les causes initiales. Ainsi, ces feedbacks peuvent être de nature à amplifier les phénomènes produits ou bien à les équilibrer. (voir les principes 5, 6 et 7)

  1. Principes de flux et de cycles

L’énergie solaire, transformée en énergie chimique par la photosynthèse, est le moteur des cycles écologiques. Les systèmes vivants assurent le flow de cette énergie reçue du soleil. Tous les éléments dans le système en consomment une partie et dispersent le reste comme chaleur.

Les processus écologiques par contre sont de nature cyclique. A travers ses complexes boucles de feedback, la communauté écologique recycle les nutriments. Les déchets d’un organisme alimentent d’autres, de sorte qu’il n’y ait pas de véritables « déchets » dans le système dans son ensemble. (voir principes 4 et 7)

  1. Flexibilité et diversité

Ces deux piliers de la Nature assurent sa résilience. Ils lui permettent de confronter et s’adapter aux perturbations.

Face aux changements incessants dans l’environnement et grâce au principe de ‘feedback’, les composants des systèmes naturels « se communiquent » en quelque sorte, pour faire fluctuer ceux-ci. Plus il y a de variables fluctuants, plus le système est dynamique, mieux sera sa flexibilité. (voir principes 1, 4 et 7)

La diversité d’un écosystème joue donc un rôle primordial. Les fonctions écologiques de divers éléments se chevauchent. Si un élément disparaît et par conséquence un lien, la communauté écologique peut se réorganiser pour compenser les fonctions accomplies par le lien disparu.

  1. Equilibre dynamique

Via les principes de feedback, de diversité et de flexibilité, la Nature cherche à assurer un équilibre dynamique.

Cet équilibre dynamique est possible tant que les variables ne dépassent pas des limites. Autrement dit, si ce seuil de tolérance n’est pas respecté, le système peut s’effondrer auquel cas d’autres systèmes émergent et donc d’autres phénomènes.

Tout système vivant rencontre occasionnellement des points d’instabilité, d’où émergent spontanément de nouvelles structures, formes et tendances. Cette créativité spontanée est inhérente à tous les échelons de la Vie.

  1. Partenariat, coopération et coévolution

Tout système vivant se développe par sa faculté de s’associer, d’établir des liens et de coopérer. Ainsi des processus omniprésents de coopération et non de combat, ont permis des échanges cycliques d’énergie et des ressources depuis plus 3 milliards d’années (Margulis et Sagan, 1986 cité dans Capra et Luisi, 2014, p 202)

  1. Développement et apprentissage

L’évolution dans un écosystème, est en réalité une adaptation mutuelle entre les individus et l’environnement – comme dit Capra, une coévolution dans une dance en cours.

Ainsi, le principe de développement invoque tout naturellement l’apprentissage. En faisant référence aux travaux de Maturana et de Varela sur la Théorie de Cognition de Santiago (Capra et Luisi, 2014, p. 255), les auteurs expliquent qu’un organisme vivant répond aux influences de son environnement avec des changements structurels. Ces structures ayant dorénavant changé, provoquent à leur tour de nouvelles réponses aux perturbations suivantes. En effet, c’est bien ce processus, ç à d une modification de comportement sur la base d’une expérience passée, qui s’appelle « apprendre ». Chaque membre de l’écosystème emprunte ainsi son propre parcours de changement structurel. Chacun de ces changements est un acte cognitif. Ainsi apprendre et se développer, sont les deux faces d’une même pièce.

Et comme le développement et la coévolution sont non-linéaires, les résultats des processus en cours ne sont jamais complètement prévisibles ou contrôlables. Un petit changement peut avoir un impact profond, souvent inattendu, invisible et éloigné dans le temps.

Pour finir sur ces principes, ils concluent que pour faire évoluer la vie sur terre, la nature crée et nourrit de petites communautés apprenantes. C’est ici que réside, d’après eux, la leçon majeure pour les communautés humaines.

Ecoliteracy, un cadre pour de nouveaux modèles mentaux ?

En effet les communautés écologiques comme humaines, sont des systèmes vivants exposant des principes d’organisation ; des réseaux, opérationnellement fermés mais ouverts aux flux d’énergie et de ressources ; des structures qui s’auto-organisent et évoluent grâce à une créativité inhérente, faisant ainsi émerger de nouvelles structures et de nouvelles formes d’ordre.

Depuis plus de 300 ans, notre modèle mental cartésien ignore, voire entrave ces « principes et processus d’organisation » des communautés écologiques, interférences qui, d’après tous les penseurs systémiques, sont les causes fondamentales de la plupart de nos crises actuelles.

Intrinsèquement lié à ces réseaux écologiques, l’Homme se doit de reprendre connaissance de ces principes et de s’en inspirer dans tous les aspects de l’organisation humaine – vis à vis de la Nature mais aussi des communautés humaines. Et puisque celles-ci, sont dotées de conscience, de langage ou de culture, elles devraient cultiver de l’empathie pour tous les autres êtres vivants. Voilà le cadre proposé pour revoir nos modèles mentaux.

Alors la transition éducative dans ce langage ?

Notre modèle mental revu dans ce contexte, s’efforcerait de changer de perspectives, explicités ci-dessous. Les changements proposés mettent l’accent sur les contextes, les relations et les liens inévitables entre les éléments (Capra dans Stone et Barlow, 2005, p. 20) et nous conduisent à découvrir d’autres façons de s’organiser et de travailler en petites communautés apprenantes, à savoir en accord avec les principes de réseaux, partenariats, coopération, interdépendance, flow, cycles, flexibilité, diversité et coévolution mais aussi de l’empathie envers tous les êtres.

De ce vaste chantier qui impliquerait tous les acteurs, j’ai choisi d’interpréter ici avec quelques exemples, ce que ces changements de perspectives représenteraient comme pratiques pour les enseignants en classe. Certains exemples cités relèvent d’une de mes expériences dans le collège Aimé Césaire des Ulis ; d’autres sont recueillies auprès des enseignants que j’ai eu le plaisir de rencontrer.

  • Des « sous-ensembles » vers des « vues d’ensemble »
    • Au lieu d’un enseignement par matières, favoriser une approche contextuel/thématique et donc multidisciplinaire, pour ensuite approfondir par matière selon les nécessités.
    • Mettre l’accent sur la synthèse c’est-à-dire au lieu de décortiquer les éléments pour comprendre leurs rôles et leurs fonctions individuellement, chercher à identifier ‘de quel ensemble’ cet élément fait-il parti ? Ainsi par exemple, sur le thème d’« éoliennes »[7] avec des élèves de 4e, nous avons d’abord proposé des exercices pour construire une vue d’ensemble sur cette thématique. 
    • Apprendre à observer le phénomène de plusieurs angles. Par exemple, nous avons non seulement observé les ‘éoliennes’ du point de vue technologique, écologique, artistique, sociale, économique, politique…mais aussi des points de vues divergents des élèves sur le sujet. En effet, chaque point de vue dévoile une facette d’un contexte. Et afin de maintenir l’intégrité de ce contexte, il convient d’en avoir une vue d’ensemble.
    • Voir également les liens ci-dessous pour des démarches similaires sur le harcèlement à l’école. Au lieu de se fixer sur les agresseurs et les victimes, elles s’intéressent à construire une vue d’ensemble du contexte qui produit ce phénomène c’est-à-dire :
      • découvrir les modèles mentaux
      • qui ont conçu des structures
      • qui provoquent des comportements
      • qui donnent lieu au harcèlement

https://www.edutopia.org/blog/students-break-system-of-bullying-rebecca-grodner ou encore https://www.edutopia.org/blog/8-steps-combat-bullying-epidemic-ann-marie-gardinier-halstead

Ayant expérimenté avec la méthode Senge, une enseignante[8] disait « j’ai complètement bousculé nos modèles mentaux sur le harcèlement. J’ai mis 6 mois, mais pense avoir fait un pas sûr et durable sur la question.»

  • Des “objets” vers des “relations entre les objets”
    • Apprendre à observer non seulement les objets mais aussi comment un objet est lié aux autres dans ce contexte. Les activités manuelles, artistiques et expérientielles permettent en effet de voir, comprendre, sentir ou exprimer ces liens. Il existe également d’autres pratiques cherchant expressément à faire visualiser les liens invisibles ou à en prendre conscience : les ‘cartes mentales’ ; le « Design Thinking » ; les outils systémiques de Senge ; des projets terrains (jardins scolaires, restaurations des habitats…) ; des documentaires/films…. Dans mon projet sur les « éoliennes » je me suis servi des documentaires pour faire visualiser les parties invisibles (la biodiversité marine ; les fondations des éoliennes sur les fonds marins; les problèmes des pêcheurs…) et des ‘boucles causales’ par exemple pour visualiser le feedback entre les ressources des pêcheurs et les parcs d’éoliennes off-shore.

 

  • De la « quantité » vers la « qualité »
    • Les notions de contextes, de relations et de liens inévitables entre les éléments, ç à d le cœur d’ecoliteracy, ne sont pas Cela remettrait en cause notre obsession pour planifier, quantifier, mesurer tout… et ferait réfléchir davantage aux notions de « qualité ». Les leçons de la Nature dans ce domaine ? Coopération, partenariats, diversité, flexibilité et coévolution.
    • Si on en croit à la Nature, c’est dans l’intérêt de sa propre survie que le système doit encourager la diversité et la flexibilité chez l’individu, dans les classes et dans les communautés humaines. Et pour ceci, il me semble nécessaire de se débarrasser des contenus et des évaluations prédéterminés et standardisés.

Une idée à explorer serait de faire identifier par les élèves un ou plusieurs thèmes à explorer (à l’image de la méthode Bâtisseurs des Possibles). En cas d’un seul thème, laisser les élèves se répartir en sous-groupes pour approfondir l’angle qu’ils souhaitent explorer, avec une attention particulière à la non-hiérarchisation des choix. En cas de plusieurs thèmes, leur laisser la possibilité de se répartir sur des thématiques différentes. Par manque de temps, nous n’avons pas pu aller jusqu’au bout de nos idées sur le projet « éoliennes » qui devait aboutir avec des solutions viables pour une transition énergétique de la ville de St Brieuc. Néanmoins, nous avons pu démontrer que l’esprit artiste est tout aussi important que l’esprit scientifique pour la réussite du projet – soulignant ainsi une culture non-hiérarchique et d’interdépendance entre les différentes compétences pour la survie d’une communauté. En effet, la réussite d’une communauté dépend de la valorisation de chaque potentiel mais aussi de l’esprit d’interdépendance et de collaboration entre ces différents potentiels.

  • Dans ce même cadre, nous avons utilisé des exercices d’intelligence collective pour encourager la flexibilité d’esprit, l’écoute et la coopération. L’échelle d’inférence (proposé par Chris Agyris et repris par Senge) permettant l’analyse des modèles mentaux, est particulièrement intéressante pour sortir des avis figés et raisonnements dichotomiques vrai/faux ç à d sortir du « tout noir » ou du « tout blanc » à la recherche des « zones grises » pour faire avancer des projets collectifs.
  • Prendre la Nature comme guide pour notre transition éducative, la mets automatiquement au cœur de nos préoccupations. Il est donc fondamental de faire émerger de nouveaux modèles mentaux d’empathie et de compassion pour les êtres de la Nature. Voici deux expériences des enseignants aux USA. STRAW[9] est une histoire émouvante d’un projet de restauration des habitats pour la sauvegarde d’une espèce en danger, démarré à l’initiative des enfants de CM1, il y a plus de 20 ans. Le projet STRAW a restauré plus de 500 habitats avec la participation de plusieurs écoles (et les enseignants de plusieurs matières), municipalités, ranchers, conservationnistes…. De même, la projection du film Midway http://www.midwayfilm.com/ sur le sort des albatros au milieu de l’océan pacifique, dans une classe de 6° a mobilisé les élèves sur un projet de ramassage des déchets sur les plages et à l’organisation des journées de sensibilisation pendant leurs vacances.
  • Ce cadre nous pousse à évoluer vers d’autres formes d’évaluations qualitatifs: auto-évaluations, évaluations de groupes/des pairs… Une idée qui me tient à cœur depuis plus de 10 ans, c’est la mise en œuvre d’un « carnet personnel d’évolution ». Maintenu par l’élève lui-même, ceci permettrait à l’élève la possibilité de se découvrir, de se connaître et de se voir évoluer tout au long de sa scolarité plutôt que de subir les évaluations des autres depuis le plus jeune âge. En effet, pour s’épanouir et aimer les autres, chacun a d’abord besoin de se connaître et s’aimer. Mais ceci serait l’objet d’un autre article !
  • Sous-jacente à la notion de qualité, sont celles de la réorganisation du temps et de l’espace, la mise en place des boucles de feedback (enseignants-élèves mais pas seulement) et de la coévolution. Le Collège Clisthène à Bordeaux illustre certaines démarches entreprises dans ce sens. http://www.clisthene.org/
  • Des « connaissances objectives » vers des « connaissances contextuelles »
    • Séparer les connaissances de leurs contextes les rend ‘objectifs’ et laisse entendre qu’elles sont universellement applicables. Mais un élément n’a de valeur que dans un contexte et dans ses relations avec les autres éléments de ce contexte. « Penser en contexte » permet d’identifier les relations entre les facteurs (la structure) dans un contexte spécifique et trouver des solutions pour ce contexte. Par exemple: acquérir des connaissances objectives sur les éoliennes laisse entendre qu’elles présentent une solution simple et applicable partout. Mais acquérir des connaissances contextuelles permet de découvrir pourquoi cette énergie est acceptable dans un contexte et pas dans d’autres.
  • Des “structures” vers les “processus”
    • S’intéresser moins à l’analyse des ‘structures’ qui produisent un phénomène et plus à la compréhension des ‘processus d’interaction’ entre les éléments qui composent cette structure. Par exemple, il ne suffit pas de démontrer un lien corrélationnel entre la surexploitation des énergies fossiles et le changement climatique mais plutôt offrir une explication opérationnelle sur « comment » l’un influence l’autre.
    • Ceci implique le décodage des processus circulaires de ‘feedback’ dans tout contexte, ç à d rechercher si les éléments, tels qu’ils sont organisés amplifient ou équilibrent le phénomène en question.
  • Des « contenus » vers les « modèles de changements »
    • L’habitude de cartographier les liens entre les éléments d’un contexte, permet de voir que certains schémas se répètent, nommés « archétypes systémiques », dans La Cinquième Discipline. Au delà du contenu des connaissances, apprendre à reconnaître ces archétypes, permet de les identifier dans d’autres contextes et anticiper ainsi des conséquences lointaines et/ou inattendues.

Par exemple, nous avons pu observer le « limits to growth » archétype dans notre projet « éoliennes »: Quelques éoliennes dans la région à les écosystèmes (y compris les habitants) s’adaptent à les élus locaux/Industriels veulent en installer 29 à une croissance démesurée à incidences sur le bien-être des habitants et de la biodiversité

 Résultat : les habitants s’opposent fermement.

Les élèves observent que les changements initiaux n’avaient pas déstabilisé ces communautés = « l’équilibre dynamique » maintenu. Mais en voulant toujours plus, les élus/industriels dépassent le seuil de tolérance des habitants. Familiariser ainsi, les élèves apprennent à identifier ces archétypes dans d’autres contextes et surtout à anticiper des conséquences à long terme ou celles qui sont potentiellement inattendues.

Par exemple une élève disait : Je mange chez McDonald, je trouve ça bon et pas cher, je retourne chez McDonald, après 3 fois, je tombe malade (conséquence inattendue).

A quoi un autre répondait : Si tu retournes aussi souvent, dans trois ans tu vas devenir grosse. (Conséquence lointaine)

Et pour terminer ……

Ces derniers décennies, une prise de conscience collective pour renoncer aux modèles ‘mécanistiques’, ont donné lieu à de multiples initiatives individuelles et collectives dans des domaines variés comme l’emploi, l’agriculture, la santé, le logement…mais en ce qui concerne l’éducation, on peine à en sortir.

Ce mécanisme de reproduction des inégalités sociales a été démontré au-delà de tout doute raisonnable depuis plus d’un demi-siècle et dans des cultures et contextes différents. Paulo Freire (1970), Bourdieu et Passeron (1970), Bowles et Gintis (1976), Fielding and Moss, 2011, pour citer quelques uns. Les réformes se suivent mais aucune n’a véritablement fait bouger les lignes de ces structures, conçues pour accomplir une autre vision de l’éducation. Or si on se laissait guider par la Nature, on ferait peut-être émerger des structures non-hiérarchiques, des petites communautés apprenantes cherchant à se développer et à apprendre par leurs facultés de s’associer, d’établir des liens et de coopérer avec les multiples réseaux d’acteurs locaux (associations de parents d’élèves, associations de jeunes, clubs de quartiers, clubs de cinéma, acteurs municipaux, agriculteurs, associations culturelles, sportives, écologiques, etc.) et des écosystèmes.

[1] http://www.fritjofcapra.net/about/

[2] https://www.ecoliteracy.org/

[3] Extrait le 15 janvier, 2017 ici

[4] Senge, Peter, La Cinquième Discipline, Random House Business Books, 2006

[5] https://www.ted.com/talks/ken_robinson_changing_education_paradigms

[6] Extrait le 15 janvier, 2017 ici

[7] Thème retenu par une équipe d’enseignants des 4e de ce collège, dans le cadre des EPI

[8] Madhavi Kapur, Fondatrice, Aman Setu School, Pune, Inde. (Décédée en 2016).

[9] Voir ce lien https://www.ecoliteracy.org/article/fourth-graders-question-500-habitat-restorations

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